Qu’est-ce que The idea of North ?
Le 10 avril 1964, après un concert à Los Angeles, Glenn Gould renonce à la vie de concertiste.
En 1965, à bord du Muskeg Express, il franchit les milliers de kilomètres séparant Winnipeg de Churchill, la ville la plus proche du cercle polaire arctique que l’on puisse rallier en train.
En 1967, il réalise le documentaire radiophonique « The Idea of North » qui s’inspire de ce voyage. C’est la confrontation des visions fondamentalement différentes de cinq personnes ayant vécu une expérience intime avec le grand Nord canadien, cinq personnes, interviewées séparément, que Gould réunit dans un train fictif par l’intermédiaire d’un montage «contrapuntique».
Ce voyage vers le Nord symbolise le voyage intérieur que Gould accomplit depuis 1964.
Les opinions qui s’expriment dans « The Idea of North » reflètent ses idées sur la solitude.
« Il y a beaucoup de moi là-dedans. À cette étape-ci de ma vie, le contenu de cette émission est ce qui se rapproche le plus d’une autobiographie. C’est une émission qui porte sur le Nord canadien mais ce dont il est question, comme un de mes amis l’a gentiment fait observer, c’est du côté obscur de l’âme humaine. C’est une austère réflexion sur les répercussions de l’isolement sur l’homme. » (Glenn Gould)
Pour Gould, le Nord est une métaphore de l’isolement.
Le Nord évoque une notion spirituelle plutôt qu’un voyage au pays des glaces.
On peut faire « en imagination » le voyage dans le Nord.
« ...très rares sont les gens qui, étant rentrés en contact avec le grand Nord, en émergent tout à fait indemnes. Quelque chose de bizarre se produit en effet chez la plupart de ceux qui se sont rendus dans le Nord. Ils prennent au moins conscience des occasions créatrices que le phénomène du contact physique avec la région suscite, et finissent par mesurer leur travail et leur existence en fonction de ces stupéfiantes
possibilités créatrices : ils deviennent, au fond, des philosophes. »
(Glenn Gould)
Lors du travail sur The Idea of North, Gould se trouve alors au cœur d’une période charnière, ayant renoncé à la vie publique pour cultiver l’isolement physique et intellectuel qu’il juge nécessaire à la création.
Le Nord est cet endroit de Création, de composition vers lequel Gould a toujours déclaré vouloir se diriger.
Le grand Nord est un territoire vierge, glacé et apparemment sans vie, que nous rêvons de parcourir. Un territoire que nous sommes inquiets de voir disparaître.
Le Nord, c’est un endroit à la fois familier et étranger. Le Nord, c’est l’intérieur de l’homme.
The idea of North est l’exploration de ce territoire.
Le spectacle L’idée du Nord raconte l’enregistrement sonore en français de cette émission mythique.
Benoit Giros est lauréat de la Villa Médicis hors les murs 2008
Le décor rappelle le désordre technique d’un studio, mais les murs sont blancs, et sur celui du fond passent les images du voyage en train, dont une sur vingt-cinq a été retenue. Cinq comédiens jouent. Quatre sont sur le plateau, où le récit de leurs expériences du Nord se mêle au défilé des images. La cinquième est dans la salle : elle interprète la réalisatrice de l’émission, qui donne le tempo. Le spectateur vit tout cela comme une expérience qui au fil du temps devient la sienne, celle de la solitude, de ses embûches et de ses beautés. C’est doux, profond. Véritablement planant, au sens fort.
Tous excellents travaillent le son, l’inflexion, dans une performance polyphonique. On reste bluffé par le travail vocal des comédiens qui tissent des extraits de témoignages construits sur le principe de la fugue, les voix se croisant, se superposant sans jamais se brouiller.
Le principe donne un résultat très étonnant qui donne le choix au spectateur de piquer des phrases au hasard pour construire son histoire ou de tenter d’entendre chacun, ou simplement de se laisser emporter par les sonorités des mots.
Une idée du Nord se forme donc vraiment en chacun au cours de ce voyage en scène, d’autant plus que défile sur un écran le voyage en train effectué par Benoit Giros, de Winnipeg à Fort Churchill, 42 heures de rails défilant en accéléré, le long d’étendues désertes faites d’herbes rases, de flaques de neiges, de franges de sapins et de lignes de poteaux télégraphiques. Hypnotique.
“Il m’est arrivé d’être plus seule dans une ville que je ne l’ai jamais été dans le Nord.”
Marianne Schroeder