Pendant sa captivité, de 1940 à 1944, Jean Zay écrit Souvenirs et solitude. Il y décrit les sentiments qu’il ressent dans la solitude de sa cellule, commentant l’actualité telle qu’il en a connaissance et revenant sur son parcours politique. Le manuscrit sort des murs de la prison dans le landau de sa fille Hélène. Souvenirs et solitude raconte la transformation de Jean Zay. D’homme d’action engagé, il devient un « inactif forcé », un emprisonné, un observateur, puis progressivement un philosophe, un sage. Plonger dans son journal, c’est explorer l’esprit d’un homme qui raconte les différents états provoqués par sa solitude absolue. La souffrance mais aussi l’illumination. Mais c’est aussi lire en détail l’état de la société française de 1939-1944. En effet, s’observant avec une telle minutie, Jean Zay décrit aussi ce que vit la société française, enfermée dans la collaboration avec l’Allemagne, paralysée par la défaite et la peur. À travers cette exploration de l’intime, il parvient à atteindre une compréhension plus large. Il dépasse la violence et l’antisémitisme pour mieux les combattre. En choisissant d’accepter sa condition de prisonnier et avec l’aide de la littérature, en apprivoisant l’écriture et la philosophie, Jean Zay va se libérer et transformer un parcours de mort en un chemin de lumière.
Jean Zay, le jardin secret offre cinquante-cinq minutes comme on aimerait en voir plus souvent au théâtre, parce qu’elles témoignent de ce que peut vivre un homme engagé, et emprisonné, sans tomber dans le pathos que pourrait susciter la situation. Supporter le froid glacial. Éprouver la faim. Endurer les maladies. Se retrouver totalement seul, face à soi. Entendre les bruits de la vie, dehors, et se dire que cette vie-là vous a oublié. Tenir, jour après jour... Tout cela, on l’a lu, souvent. Mais il y a une telle hauteur et une telle rigueur dans le témoignage de Jean Zay que celui-là, remarquablement mis en scène et joué, vous saisit au coeur.
Ironie du sort, c'est dans une petite classe avec tableau noir de l'école Pasteur que nous venons nous asseoir pour écouter la voix de Jean Zay, jeune et brillant ministre de l'Education du Front Populaire, emprisonné à Riom par Vichy, puis assassiné par des miliciens le 20 juin... 1944. Une loupiote pendant du plafond, un petit fauteuil défoncé, une cuillère accrochée à côté d'un torchon décrivent l'univers carcéral auquel il fut condamné. Jean Zay était aussi un écrivain. Et l'acteur Pierre Baux (jusqu'au 20 juillet, le rôle étant repris après par le metteur en scène Benoît Giros) nous le fait entendre merveilleusement quand il s'empare de ce journal de captivité, passé à sa femme avant que les conditions ne deviennent plus dures. Jean Zay recrée un univers à partir de rien : sa propre échelle du temps comme sa propre cosmogonie. Le moment le plus poignant porté par l'art de l'acteur est cette complainte réaliste soudain chantée les yeux fermés : une incarnation de l'époque comme de la résistance d'un homme libre en son cœur.
Chez Jean Zay, dans sa cellule, se croisent beaucoup de témoignages de résistants à la barbarie : il se récite des poèmes appris par cœur comme Stéphane Hessel au camp où il attend son exécution ; l’oiseau sur le mur qui « le regarde » rappelle la mésange des Lettres de prison, de Rosa Luxemburg ; l’affreuse liquidation à Cusset ressemble à celle de Victor et Hélène Basch dans l’Ain où les exécuteurs ont laissé sur les cadavres cet ignoble écriteau : « Le juif paie toujours ». Basch et Zay sont tous deux libres-penseurs, hommes du Front populaire, de cette trempe que hait la bête qui sommeille dans la droite défaite et en mal de revanche. Benoit Giros dit ce texte Souvenirs et Solitude sur un ton retenu, avec juste quelques accents qui en font une méditation philosophique à cœur ouvert, comme une confidence personnelle. Jean Zay en sort plus que grandi, tel que la culture profonde peut grandir un politique. L’ancien ministre assassiné n’a pas dit son dernier mot.
On peut aussi rencontrer à Avignon un être disparu depuis plus longtemps. C’est ce qui est arrivé à Pierre Baux et Benoit Giros en lisant “ Souvenirs et solitude ” de Jean Zay. On connaissait l’homme engagé, le ministre militant, le pionnier et visionnaire en matière d’éducation et de culture (ministre de l’éducation et des Beaux-Arts lors du Front populaire), on savait qu’il avait été poursuivi par la presse vichyssoise et collaborationniste. Arrêté, condamné à mort par un tribunal militaire le 4 octobre 1940, extrait de son cachot en 1944, il fut probablement liquidé par la milice française, son corps ne fut retrouvé dans un bois de l’Allier qu’en 1946. Ce que l’on sait moins c’est qu’en prison Jean Zay ne cessa d’écrire. Des pages admirables, comme si l’homme, à travers l’épreuve de la prison (et dans des conditions épouvantables) s’était encore élevé. Ce sont quelques-unes de ces pages que disent à tour de rôle Pierre Baux et Benoit Giros, dans un spectacle pour un homme seul titré “ Le jardin secret ”. L’acteur nous attend dans un fauteuil rafistolé. Devant lui une vingtaine de chaises où l’on s’asseoit. Un mètre sépare l’acteur des spectateurs. Entre eux, sur le sol, quelques bougies et bidules bricolés comme en font les prisonniers dans leur cellule. Du théâtre au plus près, dépouillé de tout.
L'hiver semble se hâter et bousculer l'automne. Fuite du soleil dans ma cour. Vers un cinquième hiver de guerre, et, pour moi, un quatrième hiver de prison.